Dans le cadre du processus de réaménagement du parc Longchamp conduit par les autorités municipales, l’Atelier Marseille 4-5 cherche à compléter et soutenir cette entreprise en s’appuyant notamment sur un point aveugle des dispositifs participatifs : les usages et les attentes des classes populaires envers le réaménagement du parc. La série de travaux effectué jusqu’ici ont mis l’accent sur des points de friction sociale implicites sur lequel l’atelier souhaite porter une attention particulière. Objet de plusieurs pétitions, la place accordés aux chiens aux sein du Parc Longchamp semble a priori faire l’objet de conflits polarisés : d’une part les propriétaires de chiens réclament la multiplication de parc de ce modèle dans chaque quartier de Marseille ; d’autre part, certaines assistantes maternelles fréquentant régulièrement le parc se mobilisent contre les nuisances canines, déjections et risques de morsures, entraînées par la présence des chiens. Au sein de leur enseignement en « Traitement des données qualitatives » dispensé par Cesare Mattina, trois étudiantes de sociologie à l’Université Aix-Marseille - Lilou Delcambre, Canelle Krakowski et Charline Thull - ont axé leur enquête sur la présence de l’espace d’évolution canine dans le parc Lonchamp en supposant notamment la dimension conflictuelle de la présence canine, et des usages liés, avec ceux des autres publics du parc.

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Présentation de l'enquête et de ses biais de confirmation

Cette hypothèse structurante de l’enquête qualitative a fortement orienté l’application des méthodologies employées par les trois étudiantes.

Au cours de leurs cinq plages d’observations, pour un ensemble de 11h répartie sur l’ensemble de l’amplitude horaire du parc en fin d’hiver et sur des jours différents (mercredi, jeudi, samedi), elles ont porté une attention particulière à déceler les différents « types de conflits » ou sources potentielles de conflictualité au sein comme à l’extérieur de la zone d’évolution canine. Les comptes rendus détaillés de leurs observations insistent notamment sur les circulations des individus, leur positionnement dans l’espace, les possibles interactions entre usagers et leur genre et leur âge. Sûrement peu à l’aise avec le processus d’identification et d’expression des catégorisations sociales et racialisées des individus, les étudiantes sont très peu précises sur la description des individus observés.

En revanche, elles se sont employées à décompter avec précision les individus observés au sein de la zone d’évolution canine selon deux critères : leur genre et leur accompagnement par un chien. Les auteures ont également décompté chaque chien observé, en identifiant souvent la race et systématiquement la taille.

Ces observations ont été complétées de sept entretiens libres rapportés sous forme narrative par les étudiantes et de quatre entretiens directifs enregistrés et retranscris. Les étudiantes ont ainsi réussi à collecter les avis d’une grande diversité d’usagers du parc par rapport à la zone d’évolution canine. Les propriétaires de chiens évidemment, des usagers responsables d’enfants – nounous ou mères de famille – ainsi que deux travailleurs concernés par ces enjeux : une assistante vétérinaire d’un cabinet riverain au parc et un officier de la police municipale, dont le local avoisine la zone d’évolution canine et surtout que les dessertes traversent.

Centrées autour des conflits, une grande partie des interrogations des étudiantes encourage leur interlocuteur à souligner d’éventuelles tensions entre usagers ou à exprimer leurs mécontentements qu’elles interprètent comme des conflits dans un biais de confirmation. Pourtant la lecture de ce riche rapport tend surtout à souligner l’importance de la zone d’évolution canine comme un espace offrant de nombreuses aménités aux différentes échelles de la municipalité marseillaise. Surtout, cette partie du parc Lonchamp est le support d’une mixité – finalement assez rare – d’un grand nombre de catégories sociales d’abord, et entre humains et animaux.

Les vrais conflits d’usages dévoilés par cette enquête sur la question canine ont plutôt lieu en dehors de l’espace canin et semble relever de comportements individuels, plaidant bien moins pour un démantèlement que pour la réhabilitation attendue de la zone d’évolution canine.
Nous souhaitons donc mettre l’accent sur les aménités offertes par cet espace prisé avant d’exposer les points éventuels de frictions et les attentes finalement convergentes des différents usagers du parc Lonchamp.


Un espace dédié aux canidés

Le parc d’évolution canine a un statut particulier non seulement au sein du parc Lonchamp qui le comprend mais de l’ensemble de l’espace municipal des 4ème et 5ème arrondissement de Marseille, voir de l’agglomération Marseillaise. Située à l’est du parc et d’une superficie de 6000 m², la zone d’évolution canine est le plus grand espace où les maîtres marseillais de chiens sont autorisés à laisser leur compagnon en liberté. Surtout il s’agit d’un des trois seuls espaces à proximité du centre de l’agglomération marseillaise – avec le parc Pastré et Henri Fabre – où les animaux ne sont pas contraints d’être conservés en laisse ; les sept autres étant situés en périphérie de la ville.

L’espace est équipé pour garantir le confort et les besoins des maîtres et de leurs chiens. Il est ponctué de bancs et d’espaces d’assises pour permettre aux maîtres de se reposer. Des distributeurs de sacs à déjections ponctuent l’espace et encouragent ainsi les maîtres à ramasser celles de leurs animaux. Enfin on retrouve un point d’eau permettant de les hydrater ou de les rafraîchir – notamment en été.

Au sein du parc est, par ailleurs, délimitée par des grillages une zone spécifique. Sans y être explicitement dédiée, les observations des étudiantes indiquent que celle-ci semble a priori appropriée au dressage et aux jeux de lancers facilités par la dimension de la clôture (p.15). Mais les usages spécifiques à cette zone restent à confirmer.

Au premier plan de cette photo nous pouvons observer les équipements dédiés au repos. Au second plan on distingue une zone grillagée permettant de délimiter un autre espace fermé.

Photo de Canelle Krakowski, mars 2023

Ces aménagements ainsi que la localisation du parc dans Marseille justifient en grande partie la venue des maîtres interrogées par les étudiantes. Si certains évoquent leur proximité immédiates, d’autres mettent en avant « Les avantages de ce parc […]: les bancs pour s'asseoir et discuter, les fontaines à eau pour les chiens, les distributeurs de sac à crottes, les grands espaces, la propreté et le calme » (p.42).

Cette grande zone d’évolution canine aménagée et adaptée aux chiens est soit considéré comme « le seul parc du centre ville » (p.47), soit mis en comparaison avec les autres parcs pour canidés de la ville considérés comme de moins bonne facture :

« Bah parce qu'il est grand, parce qu'il est à côté d'chez moi et... parce que... c'est à peu près l'seul parc que j'vois qui est qui est bien dans le quartier. […] Avant on fréquentait le parc saucisse mais bon c'est c'est délabré c'est très... très sale » (CR entretien avec un propriétaire de chien, p.71).

« Pour les chiens... je... plus de la propreté mais bon euh... (bruit de travaux) c'est surtout ça qu'il manque en règle générale dans les parcs hein parce que euh le petit parc aussi là bas. » (entretien avec un propriétaire de chien, p.82) .

Le « petit parc » évoqué ici désigne le second parc à chiens situé sur le flanc ouest du Parc Lonchamp. Bien plus petit, il est largement déconsidéré. En comparaison, la zone d’évolution canine semble bien plus adaptée aux besoins des chiens, des maîtres mais aussi de l’ensemble de leurs concitoyens marseillais.

Sur cette photo on peut lire que la carte des espaces réservés aux chiens, on peut lire à propos du petit parc "MERDIER A CHIENS, pas possible jouer à la balle par exemple"

Mathilde Jourdam-Boutin, novembre 2023

Le parc à chien : un espace de diversité sociale

La responsabilité d’un chien n’étant a priori pas le propre culturel d’une classe sociale, d’un genre, d’un âge ou d’une origine géographique ou culturelle, le caractère unique de la zone d’évolution canine à l’échelle de Marseille occasionne la coprésence d’une grande diversité d’usagers. Probablement gênées d’employer ces catégories relativement grossières pour caractériser les individus observés au sein du parc à chien, sans que ceux-ci ne contribuent à la définition de leur identité, les étudiantes n’ont décompté que les hommes des femmes. Elles dénombrent davantage de femmes que d’homme, 140 pour 84, sans pour autant que cette légère surreprésentation ne semble déterminante.

Sans les décompter, leurs observations attestent également d’une diversité en terme de tranche d’âge puis qu’elles remarquent des « jeunes », des personnes dans la « quarantaine », d’autres « âgé.e.s », des « adolescent.e.s » et même quelques enfants accompagnant leurs parents. Les identités sociales et raciales des individus sont bien moins lisibles dans leurs descriptions. Cependant on peut déduire par les descriptions de certains styles vestimentaires, une diversité de classe sociales :

« Il porte un jogging bleu marine de la marque Lacoste » (p.22)

« Il y a des personnes de tout âge, de toute classe sociale et tout genre » (p.33)

Les besoins de leurs animaux conduisent donc une grande diversité de propriétaires de chiens à fréquenter le même parc. Les étudiantes ont relevé de nombreux signes de sociabilités entre maîtres qui se saluent, se connaissent et discutent quelques soient leurs différences. Si elles relèvent des tendances de regroupement par âge ou par genre notamment dans lorsqu’il y a beaucoup de monde (p.33), l’ensemble du rapport semble attester de très nombreuses sociabilités transcendant les groupes et catégories sociales. Des descriptions plus directes, dépourvues des ambages des auteures, seraient nécessaires pour pouvoir affirmer les degrés de mixité. Enfin, elles permettraient également de noter des différences ou similitudes horaires fréquentation : les étudiantes affirment par exemple que les femmes sont plus nombreuses le matin et les hommes en après-midi (p.35) et l’on devine à la lecture des informations que les jeunes sont davantage présents aux dernières heures d’ouverture du parc (p.34).

Des propriétaires de chiens, de genre et d'âges divers discutent en cercle sur la partie haute du parc, sur une placette formée par la route. Ils se regroupent autour de leurs chiens. 

A gauche : Claire Bénit-Gbaffou, novembre 2022 / A droite : Mathilde Jourdam-Boutin, novembre 2023

Plus qu’une simple co-présence les sociabilités indiquent ainsi une certaine forme de mixité sociale. A première vue celle-ci peut être jugée superficielle car les interactions rapportées au sein du dossier tournent surtout autour des chiens : les questions sur les races ou l’âge des chiens semblent être très récurrentes et faciliter l’intégration des nouveaux venus :

« L’homme arrivé plus tôt et qui ne discutait pas avec les autres propriétaires de chiens est interpellé par une des femmes. Elle lui pose des questions sur son chien » (p.15)

Il s’agirait toutefois de rapporter plus précisément les sujets des autres conversations entendues pour savoir si elles ne se limitent qu’au sujet des canidés comme l’affirme une des enquêtées (p.79) ou si elles occasionnent de véritables rencontres.

Même si ce n’est pas le cas, d’autres critères permettent d’affirmer que les maîtres constituent un groupe social même si les sociabilités se révèlent réduites à un sujet. En premier lieu, outre l’inclusion par la conversation des individus isolés, les usagers de la zone d’évolution canine partagent des normes tacites. Il semble par exemple entendu que la topographie arpentée du site structure l’espace en plusieurs niveaux implicitement dédié à une morphologie de chiens : la partie la plus basse serait celle de petits chiens tandis que la partie haute serait celle des grands chiens. C’est du moins ce qu’indique l’un des enquêtés qui s’autoproclame « maire du parc à chien » auprès des étudiantes (p.43). Si cette position officieuse demande à être confirmée par d’autres individus, elle montre l’implication de cet homme à défendre les intérêts communs d’un groupe puisqu’il aurait contribué à agrandir la zone d’évolution canine après avoir récolté 300 signatures et serait une personne référente pour les usagers rencontrant des problèmes (p.44). 

Extrait de conversation avec le "maire du parc à chien"
Dans la partie grillagée du parc, nous remarquons qu’un homme plutôt âgé, qui doit avoir la soixantaine, est assis seul sur un banc. Nous décidons donc d’aller lui parler. [...] Nous lui demandons s’il vient souvent dans ce parc et il nous répond qu’il vient depuis vingt-quatre ans puis il nous explique qu’il fait partie des personnes qui ont créé ce parc. [...] Il nous explique que le parc n’était pas aussi grand au début et qu’ils ont pu l’agrandir par la suite (6000m²).
[...]
Puis, il explique que certains maîtres ne ramassent pas les excréments de leurs chiens, que leurs chiens font leurs besoins sur les pelouses à l'extérieur du parc à chiens. Beaucoup de personnes, surtout les nounous qui gardent les enfants et qui viennent au parc pour qu’ils puissent jouer, se plaignent du fait qu’il y a des excréments de chiens partout à l'extérieur du parc. À cela, il ajoute le fait qu'effectivement, les gardiens qui sont censés surveiller ce genre de problèmes sont relativement passifs. C’est pour cela qu’il ajoute que “on fait la police nous-mêmes”.
[...]
Lorsqu’on lui demande si nous pouvons avoir son contact, il refuse puisqu’il dit avoir donné son numéro à beaucoup d’usagers du parc qui l’appellent même la nuit pour des problèmes concernant leurs chiens. [...] Il nous parle des points à améliorer, plus d’espaces verts et plus de gardiens, ces derniers restent souvent devant la télévision dans leur salle. Il nous dit que le maire du quartier ne vient plus, ce qui est dommage selon lui.
[...]
Certaines personnes souhaitaient que le parc soit ouvert 24h/24 mais ils ont refusé (lui aussi) car trop de personnes sans abris venaient y passer la nuit. Il nous dit que les situations deviennent tendues quand les chiens commencent à se battre et que les maîtres s’y mettent aussi, il a lui-même été agressé une fois et il est parfois obligé d’appeler la police quand ça va trop loin. Mais sinon il y a une très bonne ambiance dans le parc, tout le monde se dit bonjour, ils se connaissent tous. Il nous dit aussi qu’il est comme le maire du parc à chiens.


En outre, individuellement et collectivement, les maîtres feraient eux-même la police et rappelleraient à l'ordre les maîtres qui n'obéissent pas aux règles de ramassage des déjections par exemple (p.44, p.76). Ces processus, mobilisation politique autour de demandes communes ou rappel à l'ordre mutuel, attestent  en second lieu de la constitution d’un groupe social commun. Enfin, les propriétaires de chiens usagers de la zone d’évolution canine sont négativement conçus comme un groupe par d’autres usagers du parc Longchamp et ceux qui se sentent exclus de la zone d’évolution canine.

Des tensions de faible intensité au sein du parc à chien

Bien que dédiée, la zone d’évolution canine n’est pas exclusivement réservée aux chiens et à leurs maîtres. De nombreux individus sans animaux fréquentent l’espace pour des activités diversifiées : les trois étudiantes en dénombreront 58 au cours de leurs observations. Une grande partie semblent seulement traverser le parc à chien afin de se rendre plus rapidement au métro ou à un point donné du parc Longchamp mais d’autres y demeurent plus longtemps pour lire (p.23), dessiner (p.25), manger (p.25) ou simplement discuter (p.9). S’ils ne sont jamais inclus dans les sociabilités des maîtres de chiens, ces autres usages du parc ne semblent pas provoquer de conflits ou de mécontentements parmi les usagers.

Un jeune couple passe un moment de leur après-midi au calme dans le parc en contemplant la vue sur les immeubles du boulevard du Jardin Zoologique en discutant. La parc canin, plus calme que le reste du parc Longchamp, du fait de l'absence d'enfants est un espace propice aux personnes en quête de tranquilité. 

Autrice : Claire Bénit-Gbaffou, novembre 2022

En revanche, les usages menaçant l’intégrité des chiens sont sources de tensions. L’utilisation nocturne du parc par des populations marginales consommatrices de drogues et qui laisseraient derrière elles les seringues d’injections (p.44) ou encore l’organisation illégale de combats de chiens et la présence de sang sur les zones de confrontation (p.43), sont des usages contestés par les propriétaires de chiens. Cependant les temporalités distinctes de ces différents usages du parc limitent les possibilités de conflits réels, réduits à des mécontentements ponctuels.

Bien que pleinement légale et réglementaire la circulation régulière de véhicules motorisés de la police sur les routes du parc à chien pour pouvoir rejoindre le poste qui le jouxte en contrebas donne lui aussi lieu à des tensions. Au cours des observations, les trois étudiantes relèvent plusieurs risques d’accidents (p.29, p.33, p.35). Les maîtres de chiens reconnaissent ainsi qu’ « au début avec la police ils ne s’entendaient pas parce qu’ils laissaient le portail ouverte que c’était dangereux pour les chiens » (p.45). Malgré l’installation d’un portail automatisé qui réduit le risque d’escapades des animaux, les tensions semblent encore importantes. Lors de leur entretien avec un policier municipal, celui-ci leur relate, en effet, les gestes violents sur le matériel policier commis par certains propriétaires de chiens : destruction du portail électrique ou encore coups sur le capot du véhicule (p.49).

Local de la police municipale en contrebas du parc à chien où les voitures et VTT des policiers sont stockés.

Photo de Cannelle Krakowski, mars 2023

Malgré ces démonstrations d’antipathie le policier avec lequel les étudiantes sont parvenues à faire un entretien nie la possibilité de conflits avec les usagers du parc. Il insiste sur la sympathie que lui et ses collègues portent aux animaux :

« Il nous explique que ses collègues et lui sont très sensibles à la cause animale […]. Ils font donc très attention quand ils passent en voiture dans le parc, ils roulent lentement, ils s’arrêtent et attendent si la voie est occupée » (p.49).

Ces propos sont corroborés par les observations des étudiantes qui décrivent les temps d’arrêts des véhicules tentant de traverser le parc (p.29, p.33). Les précautions des policiers sont cependant justifiées par leur amour respectif des animaux ce qui personnalise l’absence de tensions et n’exclue pas leur résurgence en cas de changement d’équipe. Pour autant le policier est persuadé que « les usagers sont quand même contents d’avoir la police à proximité » (p.49). Cette assertion ne recoupe pas l’opinion de l’ensemble des usagers puisque certaines personnes considèrent plutôt que « la police ne fait rien » (p.46). Sans perception des avantages de leur présence, celle-ci est donc surtout comprise comme une nuisance et un danger pour les chiens.

Le parc à chiens accueille donc une grande diversité d’usages sans que celle-ci n’entraîne réellement des conflits d’usages à moins que les animaux ne soient en danger. En revanche certains chiens sont exclus de la zone d’évolution canine ce qui entraîne leur report éventuel dans le reste du parc Longchamp où les conflits sont cette fois plus nombreux.

Des conflits d'usages concentrés en dehors de l'espace canin

Le premier type de chien exclus du parc sont les chiens dits de « catégorie » ou encore « dangereux ». Rottweilers et pitbulls ne sont pas autorisés à circuler. Une signalétique stipule expressément cette règle établie par la direction du parc.

Si les chiens peuvent être laissé en liberté au sein de la zone d'évolution canine, ceux dits "de catégorie" 1 et 2 selon la nomenclature étatique des chiens dangereux sont interdits au sein du parc ou bien doivent être gardés attachés. 

Photo de Canelle Krakowski, mars 2022

Pour autant même « s’ils n’ont normalement pas le droit d’être ici mais ils viennent quand même » (p.43). Dans chacun des entretiens conduit par les étudiantes, ils sont considérés et cités comme une nuisance par les usagers y compris les autres propriétaires de chiens (p.43, p.48, p.49, p.59) . Dès lors ils sont parfois ostracisés par tous et leur présence entraîne éventuellement le départ des autres usagers :

« Une fois où un chien de catégorie qui n’avait pas de muselière et qui n’était pas attaché avait fait partir tous les autres usagers » (p.48).

Plus que la race du chien, c’est surtout le comportement agressif des chiens voir des maîtres qui ne veulent pas les rappeler à l’ordre qui provoque l’isolement de certains individus. Au regard des observations des trois étudiantes, ces comportements sont rares et individuels : « y'a des gens qui comprennent pas que voilà malgré qu'ce soit un parc à chiens faut pas laisser son chien sans laisse euh... si l'chien est potentiellement dangereux pour les autres ». (p.73) affirme une dame. Surtout, les étudiantes rapportent une scène, en dehors de la zone d’évolution canine, où deux jeunes filles ordonnent explicitement à leur chiot d’attaquer un autre chien très petit avant de se montrer ostensiblement irrespectueuses avec l’ensemble des adultes les réprimandant (p.32).

Un rappel à l’ordre tacite ou explicite des autres propriétaires de chiens est, en effet, adressés à ces comportement considérés comme anormaux qu’il s’agisse de l’oubli de déjections ou d’agressions explicites :

Une femme explique ainsi « ça ne coûte rien d’avoir un ou deux sacs dans la poche » et ne pas respecter cette règle [de ramassage des déjections] c’est compromettre l’harmonie du parc à chiens » (p.98).

« un des chiens s’est mis à attaquer le jack russel de la dame âgée. Cette dernière réprimande alors la jeune propriétaire du chien en lui disant que son chien attaque le sien. » (p.16)

Respectueuses et calmes, ces récriminations peuvent parfois dégénérer : le policier explique ainsi avoir déjà dû intervenir face à un chien de catégorie bien trop agressif (p.49). Peu acceptés au sein du parc à chien, les chiens de catégorie le sont encore moins dans le reste du parc Longchamp où tout canidé est interdit. Une nounou raconte ainsi :

« une fois y’a un chien qui est arrivé effectivement un chien de catégorie euh 2 ou j’sais pas combien fin bref … euh voilà donc effectivement y’en a une qui est allée voir le propriétaire du chien qui lui a dit « là y’a tous les enfants qui sont en train de jouer est-ce que vous pouvez vous éloigner… ». (p.59).

Schéma du parc à chien où la partie dite basse se trouve en bas à droite et photographie de la zone considérée comme réservée aux petits chiens. Elle est escarpée et dépouvue d'herbes. 

Par Cannelle Krakowski, mars 2016

Le second type de chiens exclus de la zone d’évolution canine sont les chiens de petit gabarit. Cette exclusion n’est absolument pas une norme : les petits chiens sont évidemment autorisés au sein de la zone d’évolution canine dont la partie basse leur serait même tacitement dédiée. Or cette zone est la moins accueillante du parc à chien :

« La zone du bas est très mal foutue. Faudrait qu’ça soit joli mais bon c’est plus une zone de squats pour euh… pour les gens qui viennent euh trainer, boire leur bière ou euh ?... qu’est-ce que … un SDF ou ceux qui viennent dormir. Donc c’est pas un endroit qui est vraiment agréable la zone du bas » (p.72).

Les photographies de ces déchets dans la zone basse du parc à chiens atteste d'une part du manque d'entretien de cette zone escarpée mais aussi des usages plus marginaux qui peuvent s'y dérouler. A droite une couverture indique un usage de repos ou de refuge tandis qu'à droite ces bouteilles de péroxyde d'azote témoigne de la consommation de stupéfiants. 

Photos par Mathilde Jourdam-Boutin, novembre 2023

Très escarpée, la partie basse est donc également la zone la moins entretenue. Dès lors, comme la partie haute est surtout occupée par des chiens de gabarit plus important, les propriétaires de petits chiens se reportent sur le reste du parc Longchamp. Ce phénomène de report est à la fois observé par les étudiantes et rapportée au sein des entretiens :

« un homme avec son yorkshire est sorti du parc à cheins après avoir vu qu’il n’y avait que des gros chiens » (p.35). 

« Les petits chiens ont souvent trop peur et ne peuvent pas rester dans le parc avec les autres chiens, c’est pour cela que les maîtres les promènent dans le reste du parc ». (p.47). 

S’il n’y a personne dans la partie haute les propriétaires de petits chiens s’y installent mais à la moindre venue ils quittent la zone d’évolution canine pour se reporter sur les autres espaces du parc Longchamp. Lors de leurs temps d’observation dans les autres espaces du parc Longchamp, les étudiantes relèvent ainsi la présence de plusieurs chihuahuas et autres petits chiens (p.32). Vigilantes aux présences des canidés, elles notent également la présence d’autres types de chiens dans les espaces normalement interdits.

Peu avant la fermeture du parc Longchamp, un homme joue avec son berger suisse blanc sur une à proximité de la zone dévolue aux chiens. 

Photo de Mathilde Jourdam-Boutin, novembre 2023

Théoriquement, les propriétaires ne peuvent accéder au parc à chien que par l’entrée située au niveau du métro des cinq Avenues. Pourtant, ils sont nombreux à emprunter les autres entrées du parc avant de rejoindre la zone d’évolution. Beaucoup sont en laisses et traversent seulement le parc. Les étudiantes notent cependant que tôt dans la matinée, à l’ouverture du parc notamment, davantage de propriétaires de chiens se permettent de circuler sans laisse ou de stationner dans les espaces interdits aux chiens. Si la grande majorité ramassent les déjections de leurs animaux, elles notent tout de même que beaucoup de chiens urinent sur les pelouses ou les murs du parc et que quelques rares individus ne ramassent pas (p.37).

Ce sont ces présences contraires au règlement et les désagréments qu’elles entraînent qui sont à l’origine des conflits les plus importants. Ceux-ci s’expriment surtout par des récriminations et des interpellations des maîtres : « les usagers font remarquer aux propriétaires de chiens qu’ils n’ont rien à faire là » (p.10).

Toutefois d’autres tensions et conflits entre groupes d’usagers donnent lieu à des confrontations plus importantes. Les nounous, elles aussi usagères quotidiennes du parc sont le groupe le plus frontalement opposées à la présence des chiens dans le parc Longchamp pour des raisons à la fois de sécurité physique et sanitaires des enfants dont elles ont la responsabilité :

« Beaucoup de personnes, surtout les nounous qui gardent les enfants et qui viennent au parc pour qu’ils puissent jouer, se plaignent du fait qu’il y a des excréments de chiens partout à l’extérieur du parc. ».

La discussion et l’entretien effectués par les étudiantes avec deux nounous (p.45-46 et p.53-61) confirme cette peur de laisser les enfants accéder aux parties herbacées du parc de crainte qu’ils ne touchent des excréments. Elles se sentent donc contrainte « de rester dans les zones goudronnées qui sont cependant plus dangereuses pour les enfants » (p.46) parce « ce qui est un peu casse pieds c’est qu’si on veut aller dans l’herbe… bah voilà là y a un chien qui est passé et y a un gros caca de chien ». (p.57)

Pourtant, les nounous viennent a priori chercher des aménités relativement similaires que les propriétaires de chiens dans le parc Longchamp : un espace grand, végétalisé et où les individus, enfants ou cheins, peuvent faire la rencontre d’autres animaux. Une nounou affirme ainsi :

« Après les autres parcs... ce ne sont pas des parcs ce sont des squares… […]. Nous là ce qu'on recherche c'est plus de la végétation, la nature, voir des animaux euh (pause) là on a vu des petites coccinelles, (cris d'enfant) des gendarmes, des abeilles qui butinent ou... bon l'autre jour y'avait un couple de canards…  » (p.54)

Outre les confrontations verbales, les nounous s’organisent afin de porter leurs récriminations à une autre échelle que les interactions interpersonnelles : l’une envisage de « lancer une pétition pour que le règlement soit mieux respecté et les chiens interdits dans les zones réservées aux familles » (p.46).

L’une des nounous exprime également sa peur de s’exprimer de peur d’être confronté au racisme. Cet élément rappelle que le groupe des nounous est sans aucun doute moins mixte que celui des propriétaires de chiens : très genrée, cette fonction suppute que les individus partagent le même caractère féminin en plus d’une classe économique et professionnelle semblable. Il est également possible de supputer une moindre diversité en termes d’identité culturelle, ces métiers du soin comptabilisant souvent une plus forte représentation des personnes racisées que d’autres secteurs d’emplois. Reste à savoir si l’on retrouve la même diversité en termes d’âge que chez les propriétaires de chiens.

Pour autant, ces conflits étant surtout portés par les nounous, groupe relativement homogène, à l’encontre des propriétaires de chiens, groupe bien plus hétérogène, ils ne semblent pas être liés à une confrontation de groupes socio-économiques mais bien de groupes aux usages de l’espace différents.

Conclusions liminaires

A la lecture de ce rapport, ces différents conflits d’usages pourraient être limités par deux éléments absents. En premier, l’entretien de la partie la plus basse de la zone d’évolution canine afin d’éviter le report des chiens les plus petits dans le reste du parc Longchamps et l’aménagement de quelques distributeurs de sacs à déjections dans l’ensemble du parc afin d’éviter les désagréments liés aux maîtres qui traversent le parc. Mais surtout la remobilisation de personnes considérées comme fantoche par l’ensemble des personnes interrogées par les étudiantes : les gardiens du parc. Ceux-ci sont en effet décrit comme des personnes fantoches :

« En fait y a que le soir quand ils viennent fermer le parc … mais sinon on ne les voit jamais hein » (nounous, p.58).

« Il nous parle des points à améliorer, plus d’espaces verts et plus de gardiens, ces derniers restent souvent […] dans leur salle. (Conversation avec le « maire du parc à chiens », p.44)

« On les voit pas trop non ils sont plus en train de... […] bon j’dis pas qu’ils font pas leur boulot hein… c’est des bons … » (Propriétaire de chien p.78)

Pour conclure, les quelques conflits observés par Lilou Delcambre, Canelle Krakowski et Charline Thull, autour de la présence des chiens dans le parc Longchamp apparaissent liés à des conflits d’usages. Pour autant, ceux-ci peuvent être résolus par une réaffectation claire des espaces à des usages spécifiques lorsque ceux-ci apparaissent incompatibles et ne doivent pas masquer l’importante productivité sociale d’un lieu aussi mixte et nécessaire tant aux chiens, qu’à ceux qui souhaitent les éviter de la zone d’évolution canine.



Une enquête de Lilou Delcambre, Canelle Krakowski et Charline Thull, étudiantes en sociologie. Toutes les données sont le fruit de leur travail.

Encadré par Cesare Mattina

Edité par Mathilde Jourdam-Boutin, Atelier Marseille 4-5, 2023