Ce samedi 25 novembre 2023, les étudiants de l'ENSP ont parcouru le 5ème arrondissement de Marseille avec leur enseignant - Etienne Ballan - et des élus locaux très impliqués - Nathanael Bignon, Anthony Chevallier, Didier Jau, Perrine Prigent et Jean-Pierre Rolland - à la découverte des espaces publics du quartier.
Contexte de la balade urbaine :
Dans le cadre de leur cours intitulé "Paysage comme urbanisme dans la ville constituée", les étudiants de l’École Nationale Supérieure du Paysage sont invités à penser la restructuration urbaine dans un quartier de villes déjà constitué. Depuis plusieurs années déjà, les ateliers et projets des étudiants de cette séquence coordonnée par Etienne Ballan s'inscrivent dans le cadre de l'Atelier et du territoire du 4ème et 5ème arrondissement de Marseille. Pour le cycle 2022-2023, le site choisi est le secteur urbain du 5ème arrondissement structuré par le cours du Jarret, entre le Stade Vallier et l'hôpital de la Timone.
Le projet de leur atelier consiste à identifier et activer des espaces publics dans ce quartier de ville déjà constitué pour envisager et permettre la transformation de Marseille, actuellement classée dernière sur un palmarès de 200, en ville marchable. La balade urbaine du 25 novembre 2023 s'inscrit dans le cadre d'une première phase d'analyse de l'espace urbain autour des problématiques de ville durable et accueillante pour le piéton.
Cette analyse, si ce n'est l'ensemble de l'atelier, se construit en dialogue avec les habitants et les élus du 3ème secteur qui accompagne les étudiants lors de cette marche et les accueillent en fin de séquence pour une restitution de leur travail. Les étudiants récoltent ainsi les aspirations, idées et ressentis des acteurs du site, tandis que les propositions des paysagistes suggèrent un champ des possibles à ces derniers. L'un des élus présents lors de la balade affirme ainsi :
"Cela fait plusieurs années que nous faisons ces balades urbaines avec les étudiants de l'ENSP. Nous ce qu'on veut c'est être bousculés dans nos idées, dans nos certitudes, dans nos imaginaires. Ce que vous allez proposer, ce n'est pas des projets que, nous la mairie, on va faire. [...] Mais vos idées, même si elles en se concrétisent pas, nous restent en tête."
Square Sidi Brahim et la Mairie :
Après une brève présentation des personnes présentes, un premier temps d'arrêt permet d'observer le square Sidi Brahim qui longe la Mairie du troisième secteur implantée dans une ancienne école élémentaire. Le square est une illustration de la reprise à l'automobile d'une partie de la route pour permettre la circulation des habitants mais aussi leur repos ou loisirs comme le suggère les quelques jeux pour enfants. La végétation et les arbres servent de marqueurs pour séparer la route de la promenade longiligne. L'un des élus insiste sur la possibilité d'avoir ainsi des mobilités douces, piétonnes ou cyclables, pacifiées grâce à ce type d'aménagement.
Conciliabule sur le square Sidi-Brahim, Mathilde Jourdam-Boutin, 2023
Rue du Camas :
Le long de la rue du Camas, nous marquons des arrêts ponctuels pour observer les différentes phases de construction de l'espace urbain à partir des périodes architecturales. Celles-ci révèlent également des considérations différentes de la division entre espace public et espace privé : le retrait vis à vis de la rue est plus ou moins marqué, l'encastrement ou non des balcons accorde différents degrés d'intimité, un allée végétale est parfois aménagée pour assurer la transition entre l'immeuble et la rue. Ces arrêts nous permettent également de prendre conscience de l'importance de la voiture dans les espaces de circulation : la rareté des parkings publics comme privé conduit à un stationnement automobile désormais considéré comme d'autant plus important que dans certaines rues étroite le stationnement à cheval sur le trottoir est autorisé, gênant de fait la circulation piétonne.
Un élu souligne également l'épannelage (terme architectural désignant la volumétrie, hauteur et façade notamment) inégal des immeubles de la rue : il y discerne des opportunités de la densification nécessaire pour atteindre les objectifs de durabilité urbaine fixé notamment dans le cadre de la loi Zéro Artificialisation Nette. Une autre personnalité élue met toutefois les participants en garde : l’hétérogénéité des hauteurs d'immeubles a une importance esthétique d'une part, pour la circulation de l'air d'autre part.
Place de l'Archange :
Au premier plan on distingue les équipements propres à l'appropriation de l'espace public tel qu'un banc. La vue depuis celui-ci donne cependant sur les autres éléments stationnant sur l'espace public : les voitures et les bacs à ordures. A l'arrière plan on peut relever la diversité d'hauteur du bâti. Claire Bénit-Gbaffou, novembre 2023
L'un des potelet qui limite le stationnement sauvage sur l'ensemble de la place. On note tout de même que les voitures viennent se garer tout contre. Claire Bénit-Gbaffou, novembre 2019.
Une des personnalités élues revient sur la question du stationnement en partie envahissant en attirant l'attention des étudiants sur les "potelets" qui ponctuent l'espace urbain afin de répondre et conformer les pratiques non-contrôlées de stationnement. Bien qu'inesthétique et contraignant pour le piéton, il s'agit de l'un des instruments les plus efficaces pour modifier les usages ancrés par les automobilistes depuis le laisser-aller des précédentes mandatures de la municipalité de Marseille. Cependant ces potelets sont non seulement coûteux (entre 200 et 300 euros) et inesthétique mais guère appropriable ou accueillant pour les piétons riverains. Il s'agirait d'envisager d'autres formes urbaines aux mêmes fonctions anti-stationnement comme des plantations ou d'autres équipements.
L'emprise du local électrique d'EDF et l’évocation de câbles techniques dépassant du bâti au sein du groupe étudiant oriente la conversation vers un autre chantier de l'action municipale : la coordination des multiples échelons administratifs de Marseille (mairie de secteur, mairie centrale, métropole) et les opérateurs de réseaux électriques, d'assainissement ou numériques. La question des raccordements sauvages et non conformes dont on observe un exemple sur la façade de l'église.
Le parvis de l'Archange :
De l'autre côté de la place, le parvis est aménagé comme tel : on y trouve des bancs, des arbres en bac et un pavement marquant délimitant la route de l'espace piéton. "Classiquement minéralisé" avec quelques arbres et plantes en pot, un sapin de noël planté entre les dalles dont les élus interrogent la stabilité. Se pose ainsi la question de la dés-imperméabilisation d'espaces publics très minéraux.
Sur les marches de l'église, un matelas indique la présence de personnes sans-abris, dont un élu mentionne qu'elles stations souvent sur la place de l'Archange. Cet élement ainsi que les bancs au premier plan de la photo ci-dessus sont l'occasion de parler de "ville hospitalière" et accueillante : la ville de Marseille a notamment cessé d'installer des bancs avec accoudoir central et l'implantation de mobilier "anti-SDF".
Rue Horace Bertin
On observe au premier plan un autre type de mobilier restreignant le stationnement, au second des garages collectifs. La fumée incongrue s'échappe de l'espace productif d'une pizzeria. Claire Bénit-Gbaffou, novembre 2023.
L'angle de la rue Horace Bertin, à nouveau très peu densifié est occupé par l'un des innombrables garages collectifs privés - dont l'Atelier Marseille 4-5 pourrait tenter de faire l'inventaire et la cartographie - qui pousse la mairie à réfléchir aux manières de récupérer de l'espace public (en limitant le stationnement de rue qui l'a envahi) ou bâti (en densifiant sur ce type de bâtiment). Une élue expose la réglementation en matière de passages piétons qui doivent être libérés sur un rayon de 5 mètres pour permettre non seulement la traversée mais la visibilité des traversées piétonnes et ainsi leur sécurisation. La métropole peine à appliquer ces normes règlementaires : ici les potelets font leur oeuvre mais l'interdiction privée de stationnement devant la porte du garage n'est en revanche pas respectée.
Arrêt technique sur le boulevard Chave :
Le boulevard Chave étant déjà très aménagé pour les circulations douces et piétonnes, nous le traversons rapidement. Cependant une percée dans le sol accorde aux participants un aperçu sur les réseaux souterrains et la nature du sol. Chacun peut observer une interruption saugrenue des tuyaux et la dérivation de circonstance. Le plan de ces réseaux existe mais il est souvent obsolète car les interventions récentes n'y sont pas toujours reportées. Le réseau racinaire des arbres, malgré l'imperméabilisation du sol et le coffrage des arbres, s'est étendu jusqu'aux tuyaux ce qui rappelle les contraintes liés à la végétalisation en pleine terre. Ce type de travaux rappelle également la faible coordination des interventions sur le réseau ou même de réfection des voies.
Le cercle des boulistes Saint-Pierre :
Dans un contexte plutôt dense et minéralisé, le magnifique platane qui s'épanouit derrière le mur des Boulistes de Saint-Pierre se démarque dans le paysage. Situé sur un ancien terrain diocésain, cet espace de loisirs, en creux au sein de l'espace bâti, est toutefois inaccessible au public : initialement ouverts aux seuls membres du cercle, il est désormais prêté à un collège catholique hors contrat des environs pour leurs activités récréatives et sportives. Ces droits d'accès limités garantissent une faible diversité sociale. Un parallèle est établi par les participants avec le cercle des boulistes de la rue Monte Christo, espace privé aux droit d'accès exorbitant et théoriquement interdit aux femmes.
L'attention se porte ensuite sur la rue Le longe. Les poubelles, à droite du premier plan de la photographie ci dessus, sont situées sur le trottoir et non sur la chaussée comme à gauche : la circulation piétonne est donc gênée. L'observation attentives des façades à l'arrière plan permet de revenir sur les choix de politiques d'assainissement de la ville de Marseille dans les années 1970. Les gouttières auxquelles sont raccordées des conduits d'évacuation rappellent, en effet, que la ville a développé un réseau unitaire de recueil des eaux de pluies et des eaux usées, ce qui nuit à leur traitement et recyclage. De plus, avec l'intensification du régime méditerranéen provoqué par le changement climatique, ce réseau peine à supporter des épisodes orageux de fortes pluviométrie de plus en plus intenses et récurrents. Les politiques de désimperméabilisation des sols urbains et le progrès du GEMAPI sur la question sont alors évoqués : elles permettent une absorption partielle des précipitations par le sol. L'un des élus évoque alors les projet de désimperméabilisation de cours d'écoles et la nécessaire coopération avec les services de gestion des espaces verts pour en assurer le suivi. La transition de la ville de Marseille passe donc aussi par sa conversion en "ville éponge".
La rue Gilibert comme rue aux écoles :
La rue Gilibert nous est présentée comme l'une des rues où les parents d'élèves se sont mobilisés pour fermer la rue aux circulations afin de la convertir en "rue aux écoles". Un habitant qui participe à la marche confie cependant : « s’ils ferment cette rue, point de vue de la circulation, ça va être la pagaille. Tous les automobilistes l’empruntent pour rejoindre Chave. Déjà qu’autour de la Plaine, les sens interdits se sont multipliés… »
De fait, notre conciliabule, sur un bout de trottoir trop étroit pour nous accueillir, est interrompu plusieurs fois par des voitures qui empruntent la rue. Là, la dangerosité a au moins conduit la métropole à dégager le passage piéton, protégé par des barrières, en revanche point de ralentisseur pour avertir de la proximité de l’école.
La portion de la rue Gilibert, où se localise l'école, semble tout de même propice à la réalisation d'une "rue aux écoles" : il n'y a pas de garage ou de porte cochère qui nécessiterait une accessibilité automobile permanente. Les parents d'élèves comme les personnels scolaires se disent mobilisés. Pour autant, les élus rappellent que dès que ça devient concret d'autres questions plus difficiles se font jour : qui de déplacerait pour aller ouvrir et fermer la barrières ? Quels seraient les heures de fermetures ? Une demande à la direction de l'école n'a pas permis de répondre à cette question.
Il s'agit également de s'interroger sur l'animation de la rue : l'absence de commerces en rez-de-chaussée signifie que si la rue était fermée à la circulation elle perdrait la majorité des passages en dehors des horaires de sortie d'école ce qui pourrait conduire à des usages "indésirés" de l'espace public. La fermeture nécessite d'assurer l'activation et l'animation de l'espace public. Etienne Ballan, enseignant à l'ENSP, déclame alors à ses étudiants l'un de ses axiomes favoris :
"En urbanisme tout se règle par les bords ! Allez chercher les idées non pas dans la rue même mais dans ses abords".
Il rappelle ainsi qu'au bout de cette rue se situe ... le boulodrome Saint Pierre. S'il y avait là un parc, un espace vert ou public, les circulations dans la rue serait intensifiée par la volonté d'y accéder et l'animation en serait partiellement assurée.
L'hôpital de la Conception
Nous marquons un arrêt à l'interface entre le nord de l’Hôpital de la Conception et le reste de son quartier. Cet hôpital à l'architecture particulière (forme en croix) est implanté sur une large assise foncière très partiellement arborée d'alignement de platanes et là encore largement occupée par le stationnement. L'accès à l'hôpital et ses abords est limité : les barrières sont fermées au regret d’un habitant qui se remémore une époque où il était possible de traverser l’hôpital ainsi davantage intégré la ville. Quel compromis trouver entre les contraintes d’organisation rapide des flux que nécessite un hôpital (flux de patients, de visiteurs, d’alimentation, de sang, de déchets), de sécurité, et sa vocation d’hospitalité dans la ville?
Plus largement, c’est l’inhospitalité de l’espace public urbain qui est soulignée par les paysagistes. A côté des petites attentions architecturales (le traitement du biseau de l’immeuble à la croisé de deux chemins ruraux formant un angle aigu – qui profite de l’ensoleillement et forme une placette)… Ce qui domine dans ce croisement, c’est la chaussée, minérale. L’espace piéton est couvert de barrières, de potelets, de poubelles obstacles à la circulation. Un café tente timidement de se faire une place, dans cet espace public « à l’arrière » de l’hôpital – sans flux traversant. L’amas de déchets de chantier mêlé de déchets, qui le jouxte, montre que ce n’est pas gagné.
Soigner l'espace et les équipements publics ...
C’est cette même absence de soin portée à l’espace public qui est signalée sur la rue Crillon. D’abord avec le bâtiment du PASS, quasi à l’abandon, avec sa rampe maladroite pour PMR, qui (tracée au cordeau, « par un ingénieur qui a juste pris sa règle »…), mange la quasi-totalité d’une placette qui aurait pu avoir d’autres fonctions.
Puis, le centre municipal d’animation, dont l’architecture quasi fortifiée est loin de contribuer à l’animation de la rue, alors qu’elle en occupe un long espace linéaire. Un élu nous signale que la cour, derrière, abrite un « espace vert » municipal – espace vert qui n’en a que le nom tant il est peu visible et accessible.
La conception, un quartier en mutation
L’ensemble du quartier, à l’ombre des grandes infrastructures hospitalières, et qui comporte un bâti peu dense et relativement dégradé, fait l’objet d’importantes pressions immobilières. Un élu nous signale un bâtiment abandonné et en péril, qui deviendra bientôt une résidence universitaire, comme il y en a déjà dans la rue – développée par le secteur privé, car le CROUS n’a pas les capacités de développer cette offre. Ces demandes de construction de logement étudiant sont regardés à la loupe – acceptés dans les quartiers de faculté où ils répondent à un vrai besoin, il ne faudrait pas qu’ils deviennent des manières pour les promoteurs de construire de petits logements sans parking, dérogatoires et à bas coût.
La question du devenir du TAM, batiment municipal qui abrite les bains douches temporaires Crillon, est également ouverte, une fois leur installation prochaine dans le Pôle Santé Foch. Certains voulaient en faire un parking, d’autres un équipement collectif de type salle de sport… et pourquoi pas le coupler avec du logement ?
Enfin, un élu évoque l'importance de repenser la valorisation et les usages des toits des bâtiments, publics comme privés. De son point de vue il s'agit d'espace sous-utilisés qui pourraient pourtant être valorisés comme des espaces communs (copropriété), verts (jardins) ou de productivité écologiques en favorisant la récupération d’eau de pluie ou en y installant des panneaux solaires. Cependant les règles de construction très strictes des Architectes des Bâtiment de France sont souvent un obstacle à ce type d’aménagement.