Rapport - La fabrique d'une politique de logistique durable à Marseille - Atelier du 4/5 - Ville en Transitions

Les principales conclusions du mémoire de recherche présenté par Théo Dulac (4ème Année à Sciences Po Aix) sont ici présentées. Ce travail a été réalisé en 2022-23 sous la direction de Madame Audrey Freyermuth et Madame Claire Bénit-Gbaffou. Il est le fruit d’un travail d’enquête auprès d’élus de la ville de Marseille, d’associations, d’entreprises marseillaises de cyclologistique et d’agents de la région Sud, dans le cadre de l’Atelier Marseille 4-5 sur l'initiative d'une politique de logistique durable à Marseille conduit par trois élus locaux, dont Delphine Frenoux, adjointe à l'Economie Sociale et Solidaire à la mairie du 4-5. Que chacun soit sincèrement remercié pour sa participation. source image : "Plaidoyer des cyclologisticien.nes de la Métropole d'Aix Marseille"

Télécharger
(format pdf)

Introduction

Aujourd’hui, en France, 88,5% du transport de marchandises passe par la route. Cela pose de nombreux problèmes en ville, où le transport de marchandises sur de courtes distances a pris beaucoup d’importance du fait de l’explosion du e-commerce. Une large majorité de ces livraisons sont faites en camionnette ou en camion (75% des livraisons en 2022 dans les grandes villes). Ces modes de transport sont d’énormes générateurs de pollutions : la logistique représente la moitié de la pollution aux particules fines à Paris, 20% des émissions de CO2 ; sans compter l’usure des routes, les embouteillages et le danger que représentent les véhicules lourds.

Outre les problèmes environnementaux, cette organisation des transports de marchandises par véhicules motorisés lourds a éloigné les lieux de stockage des centres-villes et les a massifiés. Cet éloignement est à lui seul responsable d’une forte augmentation des pollutions liées au secteur. Mais au-delà de cette question, l’éloignement des entrepôts a surtout créé une dépendance à la camionnette et au camion, à l’heure où les politiques publiques urbaines vont dans le sens de limiter l’usage de la voiture via des dispositifs tels que les Zones à Faibles Emissions.

Une solution partielle, comme l’électrification des flottes de camionnettes, ne résoudra ni les problèmes de particules fines (qui proviennent en grande partie de l’usure des pneus et de la chaussée), ni les problèmes de sécurité ou d’embouteillage, ni la question du « dernier kilomètre ».

La « logistique du dernier kilomètre » est un enjeu de réflexion sur la dernière étape de la livraison entre l’entrepôt excentré et les clients, relativement proches de l’entrepôt mais éparpillés dans des zones urbaines denses donc difficiles d’accès. Si cette question se posait déjà avant, l’intensification du e-commerce et la démultiplication de points de livraisons proches géographiquement mais éparpillés a largement renforcé le besoin d’optimisation de ce segment de la chaîne de distribution.

Il existe donc un enjeu important autour de la fabrique d’une politique de logistique urbaine durable. Une partie de cette réponse semble aujourd’hui passer par la cyclologistique, c’est-à-dire, la logistique via des vélos-cargos. En effet, l’utilisation de vélos pour la livraison de marchandises résoudrait certains des problèmes évoqués comme les pollutions et difficultés de déplacement en milieu urbain dense. Cependant la cyclologistique demeure dépendante de l’organisation actuelle de la logistique urbaine, avec des entrepôts excentrés et une difficulté d’accès au foncier en centre-ville.

Les entreprises naissantes de logistique à vélo, appelées « pureplayers » en opposition aux « multiplayers » que sont les grosses entreprises de livraison, se concentrent donc sur des flux bien spécifiques, quasi-exclusivement intra-urbains. Ils ne parviennent pas, pour le moment, à s’imposer comme alternatives sur d’autres types de flux qui demeurent monopolisés par les grandes sociétés de livraison.

Des expérimentations de logistique durable

Des expérimentations en termes de logistique durable commencent à émerger dans diverses villes à travers le monde. À Paris, par exemple, on observe le développement du transport fluvial pour approvisionner certains magasins, tandis qu'à Montréal, une expérimentation d'entrepôt partagé pour la cyclologistique a été mise en place (Brard 2020). Ce projet pilote a impliqué une collaboration entre des commerçants locaux, une équipe projet, des partenaires logistiques, des cyclistes bénévoles et les collectivités locales, notamment la ville de Montréal. Cette initiative a permis de mettre en place un service de livraison "point-à-point" en vélos-cargos pour répondre aux défis logistiques pendant la pandémie.

Par ailleurs, d'autres villes expérimentent des solutions variées (Dablanc 2021, 2022). Certaines, comme Londres, étendent largement leurs « Zones à Faibles Émissions »[1] , voire mettent en place des « Zones Zéro Émissions » comme à Rotterdam ou à Shenzhen, tandis que d'autres favorisent par des financements le développement de véhicules électriques pour les livraisons, comme c’est le cas dans beaucoup de métropoles chinoises. Des initiatives de livraisons nocturnes sont également encouragées, à New York par exemple, pour réduire la congestion routière en journée.

 En somme, ces expérimentations témoignent d'une volonté croissante des villes de repenser leur logistique urbaine pour la rendre plus durable et efficace. En adoptant des approches innovantes et en testant de nouvelles solutions, ces villes ouvrent la voie à une logistique urbaine plus respectueuse de l'environnement et des territoires urbains.

 

Une absence de traitement politique de l’enjeu de la logistique à Marseille

Depuis 2014, certains outils ont été mis à disposition des collectivités locales à travers de nombreuses lois. On peut citer, par exemple, la possibilité de favoriser l’économie circulaire ou les transports non polluants dans les marchés publics ou bien le droit de monter des expérimentations d’organisation de la logistique en cas d’inadaptation de l’offre privée. Au vu des embouteillages et des pollutions multiples qu’elle engendre on considérer cette dernière comme telle dans le contexte marseillais. Pour autant, malgré l’importance de l’enjeu de la logistique urbaine, le sujet est très peu pris en compte par les politiques publiques locales :

  • Les flux de marchandises au sein des villes, dont la complexité est grande, sont souvent méconnus des élus locaux et la gestion de la logistique passe souvent par la seule définition de contraintes horaires et de gabarit de véhicules pour les mairies. La logistique urbaine n’est d’ailleurs saisie ni par la direction des transports, ni par celle de l’économie, ni par celle des transitions écologiques.
  • La métropole Aix-Marseille-Provence, en charge de la voirie, tarde à mettre en place les aménagements, notamment cyclables, qui favoriseraient le développement de la mobilité douce. Elle se contente de développer des stationnements spécifiques pour la livraison, mais sans vision d’ensemble.
  • L’action de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur en charge des politiques de transport passe principalement par des appels à projets qui ne constituent pas une « politique » au sens d’une vraie vision. On peut noter toutefois que l’échelle régionale ne semble pas la plus adaptée pour les questions de logistique au sein d’une ville ; en revanche l’acteur régional est peut-être plus à même de réguler les grands acteurs de la logistique inter-régionale.


Il existe donc un grand manque de vision du transport de marchandises sur le territoire marseillais, et ce à toutes les échelles de pouvoir, sans qu’il ne semble y avoir de volonté d’y remédier.

Une expérimentation politique autour de la cyclologistique menée par trois élus de secteur marseillais

Dans ce contexte, trois élus de secteur de la ville de Marseille ont souhaité prendre en main le sujet de la logistique à Marseille, en partant des besoins des entreprises de cyclologistique appartenant au monde de l’Économie Sociale et Solidaire.

Delphine Frenoux, Baptiste Lusson et Philippe Cahn ont contacté des entreprises de cyclologistique afin de les réunir, de comprendre les défis communs au secteur et d’imaginer ensemble ce que serait une politique municipale de cyclologistique et d’établir un "comité de filière".

Le principe d’un comité de filière est de rassembler différents types d’acteurs, tel que des entreprises, des élus, des associations, autour d’un objectif commun. Cette initiative est inspirée d’un dispositif déjà mis en place par la mairie centrale de Paris pour trois filières (cyclologistique, le textile et le tri des déchets) afin de permettre la discussion entre acteurs concernés. Elle se rapproche également du modèle des « communautés d’action multi-acteurs » mis en avant par l’association « La Fonda » pour proposer un cadre de travail alternatif dans les milieux associatifs.

Les trois élus à l’origine de l’initiative


Delphine Frenoux, adjointe au maire des 4e et 5e arrondissements, déléguée à l’économie sociale et solidaire. Arrivée à Marseille en 2017, elle s’engage auprès de la liste « Debout Marseille » pour les élections municipales de 2020, liste écologiste qui rejoindra le «Printemps Marseillais» au second tour.


Baptiste Lusson, adjoint au maire des 6e et 8e arrondissements, lui aussi délégué à l’ESS. Engagé auprès du mouvement Génération.s créé en 2017, il intègre la liste du « Printemps Marseillais » en 2019.


Philippe Cahn, adjoint au maire des 1er et 7e arrondissements, délégué aux espaces verts, à l’écologie urbaine et au commerce. Anciennement adhérant d’EELV, il crée un mouvement politique citoyen marseillais d’une cinquantaine de membres, qui intégrera ensuite le «Printemps Marseillais ».

Les trois élus pratiquent le vélo régulièrement lors de leurs déplacements, ce qui leur a servi de point de départ dans une meilleure compréhension des enjeux autour de cette forme de mobilité à Marseille, ainsi qu’un aperçu de son potentiel dans le but d’apaiser et de dépolluer la mobilité.


Deux réunions ont été organisées par ces élus, en décembre 2022 et mars 2023, réunissant une dizaine d’acteurs de la filière dont trois entreprises dédiées uniquement à la cyclologistique, représentant la quasi-totalité de la filière à Marseille ; et une représentante régionale de l’association « Les Boîtes à vélo », dont le but est de promouvoir l’utilisation professionnelle du vélo.


Les entreprises de cyclologistique contactées dans le cadre du comité :

Agilenville, créée en 2018, plus vieille entreprise de cyclologistique à Marseille actuellement, et plus importante en nombre d’employés : 30 personnes travaillant sur Marseille, et 60 salariés au total ,avec des filiales à Nice, Lyon, Aix-en-Provence, Toulon.


Toutenvélo Marseille, franchise créée en 2019 d’une entreprise implantée partout en France. La branche marseillaise emploie 5 personnes


La courserie, plus jeune entreprise marseillaise de cyclologistique à l’heure actuelle. Créée suite à la faillite en 2022 du Maillon Vert, pionnière dans la filière à Marseille. L’entreprise emploie 6 personnes.


Les Boîtes à vélo est une association créée en 2012 dont l’objectif est de promouvoir l’utilisation du vélo dans le cadre du travail et de représenter ceux dont le vélo est l’outil de travail principal.

Trans-massilia est une entreprise marseillaise créée en 1991 sur le format SCOP spécialisée dans le stockage, le recyclage et le transport de marchandise. L’entreprise s’intéresse à la cyclologistique, notamment dans le domaine du « premier kilomètre » qui la concerne.


Deki, créée en 2020, est une solution de mutualisation des options de transport de marchandises dont le but est de proposer une offre de transport 100% décarbonée.


Livrazou est une plateforme logistique lancée en 2021 et issue de la collaboration entre 5 entreprises marseillaises qui ont souhaité mutualiser leur solution de logistique.


Synchronicity est une Société Coopérative d’Intérêt Collectif créée en 2020 qui se veut être un hub d’économie circulaire en mettant en contact différents acteurs complémentaires.


Ce qui ressort des réunions du Comité de filière

Les réunions du comité ont permis d’identifier les problématiques clés de la filière. Ainsi, ont été abordées les questions de l’aménagement cyclable, du ressort de la métropole, ainsi que les moyens de démocratiser le recours à la cyclologistique pour les élus, les entreprises, etc. L’élément qui semblait être le plus essentiel à l’activité de ces entreprises, et qui a occupé la majorité du temps de parole, était la question foncière. En effet, il s’agit d’une question fondamentale pour les cyclo-logisticiens, qui ont intérêt à une centralisation spatiale des entrepôts. Cette dynamique est d’autant plus difficile à mettre en place que ces entreprises de cyclologistique sont encore petites, et qu’aucune n’a la capacité de porter seul le coût de location ou de gestion d’un entrepôt, même petit, en situation centrale ; d’où l’intérêt potentiel d’une collaboration. Étonnamment, la question des marchés publics, et d’un recours préférentiel à la cyclologistique par la municipalité, n’a que peu progressé : un diagnostic de toute la logistique intra-mairie pouvant potentiellement être basculée en cyclo-logistique est nécessaire préalablement à toute décision.


Mon analyse a permis d’identifier plusieurs entraves à l’action commune :

  • D’abord, une incompréhension de la part acteurs de la cyclologistique des moyens à disposition de la mairie et peut-être de sa méthode de travail participative. L’objectif des trois élus était de ne pas venir avec des solutions pré-établies afin de laisser un champ libre à l’innovation et de permettre l’émergence d’une solution la plus adaptée possible aux besoins des cyclologisticiens, si possible co-construite avec eux. Ces derniers ont perçu cette approche comme une absence de vision, de moyens et de capacité d’agir de la part des acteurs municipaux.
  • La limitation de leur pouvoir en qualité des élus de secteur avait été affichée par chacun d’entre eux, par honnêteté sur leurs prérogatives officielles. Cette limitation les a peut-être décrédibilisés en minimisant leur rôle d’interface et d‘acteurs politiques intermédiaires.
  • Peut-être, surtout, la concurrence rude qui règne dans le milieu de la logistique limitait la possibilité des entreprises de se dévoiler totalement, de permettre un diagnostic partagé des difficultés rencontrées, la construction d’une vision commune et peut être la capacité à répondre ensemble à des opportunités (type entrepôt partagé ou marché public préférentiel), qu’aucune n’a pourtant la capacité de prendre en charge seule du fait de la petite taille des flottes.


Pour autant, aucun de ces blocages ne justifiait de mettre fin au comité après seulement deux réunions. L’arrêt des réunions s’explique avant tout par un blocage politique, qui a probablement cristallisé aux yeux des entreprises l’impuissance politique des élus de secteur. Ceux-ci espéraient concrétiser l’approche coopérative entre les acteurs par la réponse conjointe entre le comité de filière et la municipalité à un Appel à Manifestation d’Intérêt de la Région Sud. Cette réponse nécessitait l’aval de la mairie centrale car les mairies de secteur n’ont pas de personnalité juridique. Or, Laurent Lardhit, adjoint à la mairie centrale à l’Economie (chargé notamment de l’Économie Sociale et Solidaire), n’a pas souhaité engager la mairie dans cet appel. Audrey Gatian, adjointe en mairie centrale aux mobilités, n’avait pas répondu aux sollicitations des élus de secteur depuis le début de leur démarche. Une autre unité au sein de la mairie, qui pilote « Marseille ville neutre en carbone 2030 » mais sans grande visibilité, ne s’est pas avantage portée en appui à leur initiative.


Suite aux réunions du comité, les entreprises se sont revues à l’initiative de l’association « Les Boîtes à Vélo ». De ces entrevues a découlé la diffusion d’un plaidoyer rédigé en commun et signé par sept entreprises de cyclologistique de Marseille et d’Aix-en-Provence.

Le Plaidoyer des cyclologisticien·nes de la métropole d’Aix-Marseille 

Il est constitué d’une liste de demandes faites par les cyclologisticiens à l’attention de différents publics, avec un découpage en quatre parties selon le type d’acteurs concernés : les entreprises, les collectivités, les citoyens et les médias.

Il a été publié le 25 mai 2023 sur le site des Boîtes à Vélo ainsi que sur le site internet du média Gomet, avec, pour signataires : Agilenville, La Courserie, Mistral Coursiers, Toutenvélo Marseille, Toutenvélo Aix-en-Provence, La Flèche et AIXBIKE.

Les demandes adressées aux collectivités sont au nombre de sept : 

  • Accélérer la mise en place des aménagements cyclables
  • Développer les aides publiques à destination de la logiqtique douce
  • Accompagner les entreprises cyclologistiques dans la réponse à des appels à projet
  • Favoriser la mise en place de mesures réglementaires visant à favoriser la mobilité douce, telle que la Zone à Faible Emissions.
  • Communiquer au sujet de la cyclologitique
  • Favoriser la cylclologitique dans la commande publique
  • Prendre en compte l'évolution de la logistique, notamment le besoin de recentraliser les entrepôts, dans la politique foncière du territoire. 
Toutes ces demandes faisaient partie des pistes évoquées par les élus lors des réunions, mise à part la question de la voirie qui n'était pas du ressort de la mairie.


Tout en étant une réponse à son échec, on peut analyser ce travail en commun des entreprises comme un résultat indirect du comité, la formulation collective de ces demandes correspondant au souhait initial des élus. Par ailleurs, les cyclologisticiens demandent surtout, à travers le plaidoyer, d’être considéré par les élus, ce que les 3 élus proposaient de construire. Force est de constater une certaine contradiction entre les demandes de cyclologisticiens et leur participation restreinte au comité.

Une analyse de l'émergence de l'innovation politique

Comment expliquer que ces trois élus : Delphine Frenoux, Baptiste Lusson et Philippe Cahn, se soient saisis de la question de la cyclologistique dans un contexte de relative indifférence de la part des collectivités vis-à-vis de ce sujet ? On peut identifier trois éléments qui ont contribué à cette prise d’initiative :

  • La victoire de la liste du Printemps Marseillais aux élections municipales de 2022. Cette élection a permis à de nombreux débutants en politique, dont font partis les trois élus, d’aborder leur mandat avec une forte proactivité et une volonté de changement pour la ville, dans le sens d’une « écologisation » des politiques publiques – la prise en compte croissante de la crise environnementale dans l’intervention publique pour transformer la société. 
  • La position d’élu de secteur est toutefois marginale et marginalisée dans la municipalité marseillaise. Les élus de secteurs ont inégalement accès aux ressources budgétaires, matériels et humains : les élus de secteur dont le mandat correspond aux compétences déléguées à la mairie de secteur (sport, culture, espaces verts, …) ont accès à un budget bien plus important que ceux dont le mandat ne correspond pas à une compétence de secteur, comme c’est le cas pour l’ESS. De plus, ces élus parfois marginalisés dans la conduite et la définition des politiques municipales. Il s’agit donc d’une position très contrainte, qui comporte une seule force : un lien privilégié avec les acteurs locaux et une connaissance fine du territoire, qui peut être porteuse de démocratie locale et d’innovation politique. 
  • Le thème de la cyclologistique était à la fois cohérent avec les valeurs portées par les trois élus (en termes d’écologisation de la ville et de démocratie locale) et pertinent en ce qu’il défrichait un champ politique qui n’était pas déjà investi par la mairie centrale et s’appuyait sur leur proximité territoriale aux acteurs. Pour autant, ce thème impliquait une montée en échelles grâce à la collaboration entre les trois secteurs centraux de Marseille (1-7, 4-5 et 6-8).

La "climatisation" et l'"écologisation" des politiques publiques

Ces deux néologismes font référence à une tendance, observée ces dernières années, de prise en compte devient systématique et globale de l’environnement par les acteurs politiques. La prise en compte des sujets environnementaux s’explique tout autant par la prise de conscience des acteurs de la politique que de leurs électeurs ; les premiers cherchant alors à se saisir de ces sujets.


Par ailleurs, l’écologisation implique aussi une évolution des pratiques sur le temps long car les sujets sont complexes et une solution n’est pas immédiatement identifiable. Cela signifie qu’un travail sur ces sujets nécessite la création d’une expertise afin d’être mieux armé pour convaincre et pour faire avancer des projets lorsque des fenêtres d’opportunité se présentent.


L’ensemble des éléments étudiés dans le mémoire l’ont été sous le prisme de l’écologisation des pratiques, tel que l’analyse Gabrielle Bouleau (2017). On y retrouve plusieurs éléments qui ont beaucoup aidé à ma compréhension des évènements comme l’analyse du temps long que nécessite la prise en compte des enjeux écologiques, l’importance de la construction d’une expertise dans la capacité à traiter le sujet et à convaincre les acteurs autour de soi, et l’intérêt qui doit être porté aux fenêtres d’opportunités pour permettre à un projet d’avancer.


En l'occurrence, l’appel à manifestation d’intérêt de la Région avait été identifié comme une fenêtre d’opportunité. Il n’a pas été possible de s’en saisir faute d’articulation entre mairies de secteur et mairie centrale sur ce terrain, ce qui a en partie démobilisé le comité de filière par ailleurs passablement fragmenté. Toutefois, l‘expertise et le réseau qui ont été construits chez les élus à l’occasion de la coordination de ce comité de filière demeurent potentiellement mobilisables si d'autres fenêtres d'opportunité se présentent.

Conclusion : Un projet qui n'a pas abouti, mais marque une première étape dans la prise en main du sujet de la logistique par les élus marseillais

Le mémoire s’achève sur plusieurs réflexions :

  • La première s’interroge sur l’innovation politique à l’échelle municipale. La question relativement nouvelle dans le champ politique de la cyclologistique a été soulevée, du fait d’une situation de marginalité de certains élus, alors même que l’établissement des Zones à Faibles Emissions dans les villes françaises et à Marseille était à l’ordre du jour. Dans leurs tentatives infructueuses d’articuler les deux échelles municipales Le travail préliminaire fourni par les trois élus a permis, a minima, que le mot « cyclologistique » parvienne aux oreilles d’élus de mairie centrale.


  • Cependant, la non-considération du travail de proximité que les élus de secteurs sont capables de fournir est problématique. Cette expérimentation aurait pu être approfondie, en répondant à l’appel à projet de la région dans un premier temps, puis en le mettant à l’agenda du dispositif « Marseille 2030 » ce qui aurait permis de développer d’autant plus la filière en bénéficiant d’une aide européenne. Le blocage de l’initiative représente une perte de temps sur un sujet qui devra nécessairement être traité par la Ville car la réorganisation de la logistique urbaine ne se fera pas du simple fait de volontés privées.


  • Ce blocage ou articulation défaillante entre élus centraux et élus de secteurs a participé à l’échec du projet, car les élus ne sont pas parvenus à embarquer les entreprises dans leur volonté de construire en commun. Si les élus de secteurs ont été perçus par les entreprises comme étant démunis de capacité d’action, cela peut être au moins en partie attribuable à la faible considération qu’ils reçoivent de la Mairie centrale. Pourtant leurs moyens d’action ne manquent pas et il appartient notamment aux élus de déterminer lesquels sont les plus appropriés pour répondre aux échéances établies par les schémas régionaux et municipaux.


  • Les élus de secteur ont entamé le long travail de construction d’une expertise, étape d'autant plus cruciale que le sujet est complexe. Ils sont en outre parvenus à dépasser des cloisonnements à la fois entre les secteurs de Marseille, mais aussi entre différents types d’acteurs, qu’ils ont réussi à faire dialoguer. Il ne faut donc pas que ce travail se perde. Il appartient aux trois élus de continuer à consolider leur expertise afin de mieux convaincre de la nécessité d’une action, ainsi que de la forme qu’elle doit prendre, lorsque la prochaine fenêtre d’opportunité se présentera tandis qu’il revient aux élus de la mairie centrale de mieux savoir reconnaître et s’appuyer sur cette connaissance fine des acteurs et des territoires que les élus de secteurs sont les plus à même d’apporter.

Bibliographie