A l'occasion de la 3ème édition de la journée nationale de lutte contre la précarité énergétique, la ville de Marseille et la maire du 3ème secteur se sont associées à plusieurs évènements marquant l'engagement des élus et agents municipaux à soutenir les acteurs et actions œuvrant dans ce domaine. L'atelier du 4-5 a assisté à plusieurs de ces évènements pour vous rendre compte des projets des acteurs locaux pour répondre à cet enjeu de la transition climatique et écologique.

Compte rendu - Le 4-5 et la semaine de lutte contre la précarité énergétique - Atelier du 4/5 - Ville en Transitions

Le cadre et le contexte :

Pour la troisième année consécutive, la Fondation Abbé Pierre coordonnait la Journée nationale contre la précarité énergétique co-organisée à l'échelle du territoire national avec 23 organismes et associations impliqués dans cette lutte. 

L'accroissement de la précarité, l'augmentation des coûts de l'énergie comme des loyers ainsi que la mauvaise qualité thermique de millions de logements à l'échelle nationale, alors que le changement climatique entraîne une intensification des épisodes de froid et surtout de chaleur, ont conduit à l'identification de la précarité énergétique comme l'un des enjeux politiques et sociaux de la transition environnementale. L'expression désigne les difficultés croissantes de nombreux foyers, 12 millions de personnes à l'échelle nationale, à se protéger des extrêmes de température au sein de leurs logements. Ces situations surtout par la difficultés des foyers de payer leur facture énergétique d'autant plus chères lorsqu'ils résident dans l'un des 5,2 millions de logements identifiés comme "passoires thermiques" en France métropolitaine. Outre le coût économique, la précarité énergétique comprend également un coût sanitaire pour les individus qui en souffrent et l'ensemble du système de santé national.

A Marseille, le changement climatique qui entraîne une intensification du climat méditerranéen donne lieu à une augmentation des températures, notamment des épisodes des journées très chaudes, des nuits tropicales (températures nocturnes supérieures à 20°C) et des des épisodes de canicules. La présence de nombreux îlots de chaleurs très minéralisés qui emmagasinent l'énergie solaire limite le refroidissement nocturne accroît également le risque de canicule à Marseille. 

Un logement marseillais sur 4 est, par ailleurs, considéré comme énergivore et classé dans les étiquettes les plus basses (E,F et G) du barème énergétique. La question des logements qualifiés de "passoires énergétiques" recroise celle des 40 000 logements dégradés voir indignes, particulièrement dramatique dans les arrondissements centraux de Marseille. De nombreux marseillais renoncent donc à se chauffer dans de bonnes conditions et souffrent de la chaleur estivale de peur que leur facture énergétique ne pèse trop dans leur budget. 

Consciente de ces enjeux, la municipalité de Marseille s'est engagée à lutter contre la précarité énergétique au sein du "Contrat de ville" établi dans le cadre du programme européen "100 villes neutres en carbone en 2030". Plusieurs évènements organisés dans le cadre de la 3ème journée de la précarité énergétique ce 23 novembre 2023 et sur le cours de la semaine atteste de cet investissement municipal. 

Le 20 novembre : la signature de deux conventions cadre en mairie centrale 

Signature des conventions. De gauche à droite : Gilles Berhault (DG de l'association Stop à l'exclusion énergétique), Sébastien Barles (Adjoint au Maire de Marseille), Didier Jau (Marie du 4-5) et Jean-Pierre Goudard (co-président du CLERC).  

Lors d'une conférence de presse organisée en Mairie centrale, la Ville de Marseille a signé deux conventions cadre témoignant de son soutien à la lutte contre la précarité énergétique. 

La première de ces conventions renforce le lien qui unit la municipalité au CLER, réseau national d'acteurs associatifs locaux visant à promouvoir la transition énergétique. Sébastien Barles, adjoint au maire en charge de la transition écologique, de la lutte et de l'adaptation au bouleversement climatique, a renouvelé l'engagement de la ville de Marseille au sein du programme SLIME (Service Local pour l'Insertion par la Maîtrise de l'Energie) et augmenté le budget prêté à celui-ci de 250 000 à 400 000 euros. Ce programme, créé en 2013, consiste  à repérer les ménages en situation de précarité énergétique afin de les orienter vers des solutions durables adaptées à leur situation et vers les acteurs qui pourront les accompagner dans la mise en œuvre des propositions. Il permet surtout de coordonner des acteurs et des dispositifs locaux prééxistants sur le territoire pour faciliter la prise en charge des ménages les plus précaires. A l'échelle locale le programme est coordonné par le GERES, une ONG marseillaise œuvrant dans le domaine de la solidarité climatique locale et internationale depuis 20 ans. Celle ci développait déjà des actions d'accompagnement des ménages en situation de précarité énergétique dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Le développement du dispositif SLIME à l'échelle de la Ville de Marseille permet la coordination du GERES avec les acteurs sociaux à même d'identifier plus facilement les individus touché par la précarité énergétique notamment la Fondation Abbé Pierre, la Croix Rouge Insertion, l'association de réinsertion La Varappe et l'association SOLIHA, dont l'objet social est l'accès et le maintien dans l'habitat des personnes vulnérables. Certains de ces acteurs, spécialisés dans l'insertion, sont également à même de répondre aux besoins en travaux de première nécessité. 

La seconde convention signée engage la mairie au sein du programme TZEE (Territoire Zéro Exclusion Energétique). Le collectif "STOP Exclusion Energétique" qui porte ce programme national lancé en juillet 2023 a retenu la candidature de la Ville de Marseille, et le quartier des Chartreux situé dans le 4ème arrondissement, parmi les 13 premiers territoires expérimentaux du programme TZEE.  Celui-ci vise à coordonner tout les différents secteurs impliqués dans la lutte contre la précarité énergétique - urbanisme et habitat, bâtiment et rénovation, médico-sanitaire, caritatif et social - dans l'identification mais surtout l'accompagnement administratif et financier des personnes en précarité énergétique. Cette initiative s'appuie donc sur une approche plus territoriale que sectorielle afin de permettre une prise en charge locale et continue des foyers identifiés. Pour ce faire, les territoires locaux se voient affectés des "ensembliers territoriaux" et des "ensembliers solidaires" en charge de repérer les ménages et de les accompagner administrativement dans le montage financier et technique de leurs projets de rénovation. Pour cette première phase du programme, l'objectif national est de toucher 3000 foyers sur l'ensemble des territoires dont environ 280 ménages sur celui des Chartreux.

Celui-ci a été choisi pour son nombre important de petits propriétaires de logements dans un bâti ancien, parfois dégradé, nécessitant une rénovation thermique. En effet, le programme TZEE s'adresse principalement aux propriétaires de logements à même de décider de la rénovation de leur logement contrairement aux locataires. Le quartier des Chartreux présente également une diversité importante du bâti - trois fenêtres marseillais, petite maison de ville, immeubles collectifs des années 1970 - qui permet d’accroître les savoirs faire locaux sur plusieurs types d'habitat. Enfin, l'un des élus reconnaît que la démographie plutôt âgée des propriétaires du quartier a également joué en faveur de sa sélection. Surtout, les élus marseillais impliqués dans l'application du TZEE à l'échelle locale, Christophe Sogliuzzo, pour la mairie centrale, et Didier Jau, en qualité de maire du troisième secteur, ont réaffirmé "la volonté de la mairie du 4-5 d'accueillir ce projet" pour valoriser les savoirs faire, compétences et initiatives locales tant des habitants que des professionnels marseillais à faciliter la transition énergétique. Il s'agit en effet d'une des premières collectivités à s'être mobilisée en amont du programme. La signature des conventions et la conférence de presse se concluent sur l'expression officielle que le programme commence au plus vite.

Le 23 novembre à 14h : inauguration d'un dispositif de sensibilisation à la précarité énergétique devant l'Alcazar 

Du jeudi 23 novembre au jeudi 30 novembre a été disposé devant la bibliothèque de l'Alcazar dans le premier arrondissement un container de sensibilisation du public aux économies d'énergie domestique et aux enjeux de la transition énergétique domestique. Créé par LVD environnement, filiale du groupe marseillais d'entrepreneuriat social La Varappe, fondé à Aubagne en 1992, le container propose une exposition sur les éco-gestes quotidien permettant au public de réduire leur facture énergétique dans un objectif à la fois économique et écologique. La présence d'un médiateur au sein du dispositif facilite encore la vulgarisation de ces méthodes et une analyse personnalisée des situations des habitants intéressés. 

En accordant l'implantation de ce dispositif sur le cours Belsunce, voie piétonne fréquentée et populaire, la Ville de Marseille encourage la sensibilisation du plus grand nombre et facilite également l'identification et l'information de personnes souffrant de précarité énergétique, que les médiateurs peuvent ensuite rediriger vers les autres acteurs locaux de la lutte. 

Le 23 novembre à 18h : une conférence publique des acteurs locaux de la lutte contre la précarité énergétique à la Mairie des 4ème et 5ème arrondissements

La conférence publique ouverte à tous en Mairie de 3ème secteur visait à présenter les enjeux, les acteurs et les initiatives locales des acteurs politiques, associatifs et entrepreneuriaux contre la précarité énergétique. Didier Jau a accueilli les intervenants de la table ronde et un public d'une vingtaine de personnes avant de s'excuser de ne pouvoir rester plus longtemps. En l'absence de Sébastien Barles, qui rejoindra la séance un peu plus tard, c'est Isabelle Bordet - conseillère d'arrondissement pour le premier secteur et adjointe déléguée au logement, à l'habiter dans le centre-ville et au quartier de Noailles - qui anime le début de la séance. Elle cède en premier lieu la parole à Fanny Bernard, impliquée dans la mise en place du "Programme d'Intérêt Général Habiter Mieux "Lutte contre la précarité énergétique" souscrit par la Métropole Aix Marseille Provence. Celle-ci commence à présenter ce dispositif de soutien à tout propriétaire occupant précaire pour l'aider à atteindre un objectif de gain de 35% d'amélioration énergétique. 

Cependant elle est rapidement coupée par un professionnel du secteur de l'architecture qui souhaite savoir quels sont les critères pour définir une "passoire énergétique" - terme qui ne désigne à ce jour que les logement de classe inférieure à E. Rapidement la table-ronde se transforme en dialogue entre un public composé en très grande majorité de professionnels des secteurs impliqués dans la transition énergétique de l'habitat, et les porteurs des programmes de lutte contre la précarité énergétique qui répondent tant bien que mal. 

Le premier questionnement porte sur la démultiplication de programmes depuis une décennie aux objectifs considérés comme inadapté à l'urgence climatique et impliquant donc toujours de nouveaux programmes. Il est répondu que ces programmes visent tous à conduire les propriétaires, bailleurs ou occupants, à mobiliser l'ANAH (Agence National de Habitat) et que malgré les objectifs fixés à 35%, ceux visés sont souvent plus haut. Enfin à partir de 2024, il s'agira davantage de permettre des gains de classe de logements. 

Est ensuite souligné le problème du poids et de la force des copropriétés marseillaises, notamment sur le territoire des Chartreux où doit se développer le programme TZEE. La plupart des programmes suscités s'adressent à des propriétaires individuels et font porter à ceux-ci la responsabilité de l'adaptation de leur logement à la transition climatique. Or beaucoup des travaux nécessaires à la réduction de la précarité énergétique, tel que l'isolation, seraient bien plus efficace s'ils portaient sur l'enveloppe du bâti (façade, toiture, ...) davantage que sur chaque appartement. Les acteurs des différents programmes reconnaissent s'adresser surtout à des propriétaires individuels, car ils ont en partie été conçu pour des espaces périurbains voire ruraux où l'habitat individuel est largement majoritaire. Pour autant, chaque acteur propose de réaliser des diagnostics prenant également en compte la copropriété, si l’individu soutenu souhaite convaincre l'ensemble du collectif de voisins : viser des individus insérés au sein de collectifs serait ainsi une stratégie de densification des initiatives de rénovation énergétique. 

Des doutes sont également émis au sein du public sur le choix du quartier des Chartreux comme territoire d'expérimentation du TZEE : la population relativement âgée qui constitue les petits propriétaires précaires du quartier se lancera-t-elle vraiment dans une rénovation thermique de son logement ? Les élus rappellent alors que ,concernant les propriétaires bailleurs, cette rénovation sera contrainte par l'interdiction de louer un logement de classe E ou F à compter du 1er janvier 2024. Pour les propriétaires occupants, c'est justement tout le but de ces programmes que de réussir à leur expliquer les bienfaits de la rénovation thermique et les accompagner dans la constitution et conduite de leur dossier. Un des élus rappelle qu'en période de "crise du logement" la perspective de revaloriser un bien immobilier, à des fins de transmission ou de solde peut convaincre même des personnes âgées. 

Quelques doutes sont également émis sur l’efficacité des "ensembliers territoriaux et solidaires". D'une part, quelques membres des associations locales déjà impliquées dans la lutte contre la précarité énergétique depuis plusieurs années laissent paraître leur désaccord sur le caractère novateur de cette fonction et rôle : le terme viendrait surtout qualifier et instituer en métier des missions déjà effectuées par les bénévoles et employés de ces associations. D'autre part, certaines professionnels de l'habitat expriment leur perplexité sur les chances de réussite de ces jeunes formés rapidement (6 mois) à leur nouveau métier mais pas suffisamment expérimentés ou renseignés pour faire face à des copropriétés marseillaises influentes, chevronnées et frileuses. 

Enfin des militants écologiques de l'association Alternatiba, présents dans le public de la table ronde, questionnent la pertinence de n'agir sur la précarité énergétique que par le biais des propriétaires. Bien que les propriétaires précaires soient une réalité, la plupart des personnes en grande précarité énergétique sont locataires de leur logement et subissent la mauvaise qualité énergétique de celui-ci comme le prix de celui d'un loyer possiblement moins coûteux. La crainte exprimée est donc que la rénovation thermique du logement entraîne de fait une exclusion du locataire, dans le contexte d'une rénovation immobilière qui entraînerait une valorisation du bien et du loyer associé. Il est donc demandé si des programmes prennent en compte cette partie de la population énergétiquement précaire. La représentante du GERES répond que celui-ci comme le Slime s'adressent aussi largement aux locataires pour les aider à trouver des solution ou encore jouer le rôle de médiateur avec le propriétaire en cas de conflit. Il est également rappelé que dans le cas d'un financement de l'ANAH, le propriétaire bailleur est contraint, en échange des subventions, de respecter des taux de loyers conventionnés ce qui participe au passage à une augmentation du nombre de logement en parc social et limite ainsi le déplacement et l'expulsion des locataires sous prétexte de réhabilitation du logement. 

Un compte rendu de Mathilde Jourdam-Boutin, toutes les photos sont de l'autrice