Lors d'une Soirée-Débat à la librairie Manifesten, Francesca Ru, doctorante en sociologie à l’Université d’Uppsala (Suède) a présenté les résultats préliminaires de sa recherche doctorale sur la place et l'expérience des forains et foraines lors de la rénovation de la Place Jean Jaurès, dit « La Plaine » et les effets sur le marché.

Apéro-Débat - Francesca Ru, les forains et la rénovation de La Plaine - Atelier du 4/5 - Ville en Transitions

Après un chaleureux pot d'accueil permettant à toutes et tous de découvrir Manifesten, café-librairie associative installée depuis 2014 rue Thiers, à quelques encablures de la Plaine et haut-lieu du militantisme marseillais, Francesca Ru, doctorante en sociologie, entamme la présentation des résultats de ses terrains marseillais davant un parterre attentif. 

Alors que les différents travaux, académiques, militants ou artistiques sur la rénovation de La Plaine ont largement mis en avant la lutte habitante et les craintes tant d’embourgeoisement que de disparition des usages populaires, Francesca Ru s'est, elle, concentrée sur le marché de la Plaine et ses principaux acteurs : les forains et foraines. En effet, le marché de la Plaine a bien faillit disparaître au cours de la rénovation - c'est du moins ce qui était initialement prévu par les aménageurs -, a été déplacé pendant les quatres années de travaux et a finalement fait l'objet d'une lutte lui permettant de revenir. Francesca rappelle que le marché, un des plus gros de Marseille, charrie des représentations fortes : celle d'un marché populaire et accessibles à toutes et tous, celle d'un marché historique de la ville comme du quartier et enfin celle d'un espace de convivialité et d'échange. Ce sont justement ces représentations qui ont initialement conduit les autorités à vouloir le fermer afin d'assurer la montée en gamme de la place ; et les mêmes qui ont amené les militant.e.s de l'Assemblée de la Plaine, luttant contre la transformation, a érigé le mazrché en symbole et objet de leur combat pour maintenir la dimension populaire de la Place. Les forains et foraines étaient, pour leur part attachés, à assurer la continuité de leur activité économique pendant et après les travaux. Les intérêts communs ont donc conduit à une certaine convergence des luttes entre forain.e.s habituellement en concurrence, ainsi qu'avec les habitant.e.s.

Sous les yeux amusés et les commentaires guillerets de certain.e.s des anciens militant.e.s de l'Assemblée de la Plaine, Francesca retrace rapidement le récit des grandes actions collectives conduites pour garantir le retour du marché sur la Place. Ensuite, elle expose autant les difficultés économiques des forains provoqué par leur déplacement sur plusieurs marchés, pendant la période des travaux, aggravé par le contexte pandémique de la période du Covid. Enfin, elle présente les perceptions partagées par les foraines et foraines de la rénovation de la place, les changements du quartier et l'évolution de leur activité. La plupart semble relativement satisfait de leur retour à la Plaine et de l'amélioration du cadre urbain tout en déplorant que la rénovation ait été pensée sans eux conduisant à quelques inadéquations matérielles. Surtout, ils se font l'écho d'une paradoxale paupérisation de leur clientèle et du marché alors même que la place, les débits de boissons qui la borde et le public qui la fréquente en dehors du marché attesterait de la revalorisation du quartier. Francesca achève donc sa présentation en emmettant l'hypothèse que l'activité foraine puisse constituer un frein ou une forme de résistance à la gentrification.

Cette question d'ouverture provoque de vive réaction au sein de la salle : certains sont, en effet, convaincus que le marché participe à la légitimation des pratiques et présences populaires dans le quartier, tandis que d'autres déplore la dégradation de l'offre du marché et y soupçonne un changement à venir de l'offre afin d'accompagner le changement urbain. S'en suit également un grand débat sur les interactions et publics tant du marché que des bars et cafés de la place se cristallisant notamment autour de la question des terrasses et de leur déploiement. Le cadre formel de la présentation s'achève sur ces discussions vives qui continuent encore longtemps au cours d'un second temps de convivialité. 


Compte rendu et photographies de Mathilde Jourdam-Boutin